Quinsaï, les origines du papier peint
Lorsque Marco Polo, parti en 1271 de Venise, arrive six ans plus tard dans la ville de Quinsaï - actuelle Hángzhōu à cent kilomètres de Shanghai - il est frappé par le fourmillement de cet immense port. La cité, qu’il n’hésite pas à sacrer « plus importante et plus belle ville au monde »*. Marco Polo fit son entrée dans la courte liste des privilégiés reçus par le Grand Khan, le cinquième plus précisément, Kubilaï, et il passa près de 17 ans au service du Khan en Chine et dans les territoires voisins.
Quinsaï, la « ville du Ciel », possède les plus beaux palais et châteaux de la région, nichés sur les hauteurs face à la mer. Là, plus encore qu’ailleurs en Chine, les fêtes somptueuses succèdent aux soirées féeriques ruisselantes d’or et d’argent, une foule chatoyante se croise au milieu de foisonnants décors. Le palais royal, au centre de la ville, croule sous les dorures et les luxueux papiers recouverts de motifs. Les yeux de Marco Polo s’émerveillent à la vue de palais entièrement verts, de vastes scènes de batailles ornant les murs tout autour de lui.
A-t-il pu s’empêcher de toucher les précieux papiers sur lesquels ces fresques avaient été peintes ? Sans doute pas. Car le raffinement des décorations chinoises et l’usage du papier, à la fois comme ornement et comme monnaie, sont peut-être les souvenirs les plus tenaces rapportés par le voyageur de ces vingt années passées sur les routes de la soie. A son retour en Europe, Marco Polo raconte comment le papier peint capte l’oeil et habille un intérieur, et c’est donc en partie grâce à lui que ces décors muraux connaîtront une popularité grandissante en occident. Lorsqu’il a découvert les papiers Chinois, ces derniers en maîtrisaient la technique depuis longtemps.
En 1712, lorsque l’Angleterre met en place une taxe sur l’importation des papiers chinois, la fabrication s’industrialise en France… Un artisan particulièrement doué, Jean-Baptiste Réveillon, y développe de luxueux mélanges de soie et de papier, et travaille des motifs de fleurs de lys et d’oiseaux tropicaux.
Les esprits baroque, rococo ou néoclassiques influencent tour à tour les motifs, avant que la mode des trompes-l’oeil et des panoramas ne l’emporte. Des grandes fresques luxuriantes sont alors imprimées sur des papiers toujours plus luxueux : perroquets, fruits exotiques, végétations sauvages s’amoncellent sur des pans de papiers toujours plus blancs.
C’est que le papier peint a toujours reflété, par ses motifs ou sa conception, les plus belles ambitions artistiques de son époque. Il a été le terrain de jeu du Bahaus, de l’Art Nouveau, ou encore de l’Union des Arts Décoratifs. Cézanne, Degas et Matisse ne se sont-ils pas inspirés de ses riches motifs pour composer leurs toiles ? Georges Braque a travaillé leur matière même dans ses collages. Quant à Picasso, il a poussé l’audace jusqu’à concevoir sa fameuse toile de La Femme à la Toilette (1937) uniquement avec du papier peint.
Ainsi, ces mystérieux papiers qui firent la richesse de Quinsaï, mille fois transformés au fil du temps, continuent de vivre et d’inspirer les créateurs. En chacun d’eux, se niche un explorateur, prêt à nous faire partager ses rêves de voyages, ses visons lointaines et féériques et à réinventer notre quotidien.
* Le Devisement du Monde par Marco Polo - 1298